Ce soir, je pleure. Bêtement. Parce que j’ai été trop optimiste, trop crédule. Parce que j’ai trop vite renoncé à mener le seul combat qui devrait valoir la peine à mes yeux. Parce que je pensais que d’autres partageaient ma façon de voir le monde. Je m’en veux à moi-même d’avoir cédé si facilement, de m’être laissée aller à une telle facilité.
La classe de mer ? « Monsieur L. ne voulant pas passer le test obligatoire pour la voile (se jeter tout habillé dans une piscine, mission impossible pour lui !) et l’activité nautique occupant plus de 80 % du temps de la classe, tous les enfants étant sur l’eau en même temps, il serait mieux pour lui de ne pas venir. » « Il n’y a pas d’autres activités ? » « Non, et l’inspecteur accepte qu’il ne parte pas (une faveur spéciale ? quelle chance !). Ne vous inquiétez pas, il suivra le même programme que les autres. » Résultat ? Résultat : après l’annonce à Monsieur L. qu’il ne partira pas avec ses camarades, après avoir essuyé ses larmes en essayant de lui faire comprendre que tout allait bien se passer, que cela ne remettait pas en cause sa valeur, ses qualités, Monsieur L. assiste à tous les préparatifs de l’extérieur. Désespéré. Désespérant.
Je m’en voulais d’avoir cédé. Je m’en voulais déjà de ne pas m’être assez battue. Honte sur moi, je n’ai pas osé affronter toute une école, les parents d’élèves. Je me sens mal dans une peau de lâche, de traître*. Tout le monde (sauf une, merci à elle) trouvait si normal qu’il ne parte pas avec les autres. Vous avez dit intégration scolaire ? Oui, mais quand même, il ne faudrait pas exagérer. Alors, à nouveau, la colère est venue.
Combattre pour son propre enfant serait moins noble, moins désintéressé ? Comment puis-je faire moins, puisque personne ne prend le relais ?
J’ai vu ce matin sur le site du centre d’hébergement classe de mer le programme prévu. Seulement quatre séances de voile sur les dix demi-journées. Seulement quatre séances et par demi groupe. Tout le reste était possible pour lui, tout le reste est possible pour lui.
Bien sûr, je vais reprendre ma plume pour écrire à l’enseignant. Bien sûr, je repars au combat. Bien sûr, je vais faire semblant de ne pas avoir vu qu’il s’agissait d’une volonté d’exclusion. Bien sûr, je vais leur accorder le bénéfice d’un doute que je n’ai pas. Bien sûr, je vais tous les épargner pour qu’ils épargnent mon fils.
En début de semaine, j’ai eu la chance de participer à deux jours de formation sur l’autisme. Deux jours au cours desquels j’ai pu prendre des notes pour expliquer autour de moi ce qui dysfonctionne dans le cerveau de ceux qui en souffrent, pour démontrer qu’ils ne font pas exprès d’adopter un comportement étrange, un comportement qui les exclu de fait, qu’ils ne sont pas mal élevés ou dangereux. Deux jours pour recevoir la confirmation que dans un monde bienveillant, leur vie serait agréable, ils auraient une meilleure image d’eux-mêmes et nous aurions une meilleure image de nous. Je pensais que ces deux jours m’avaient enveloppée d’un blindage de bonne humeur. Grave erreur : l’armure s’est fendue. J’ai beau savoir que je ne suis pas seule, que d’autres luttent à mes côtés, que d’autres connaissent les mêmes tourments, que d’autres connaissent de pires tourments, que des amis me soutiennent, ce soir, je pleure.
Respecté-je en cela les recommandations du médecin qui trouvait indispensable que je garde un peu de temps pour moi ? J’ai un peu de temps, cool, je vais pleurer, ça c’est on ne peut plus personnel !
Bon signe, je commence à pleurer de rage. Tout n’est pas perdu.
*Edit : cette considération ne concerne que moi. Je ne voudrais pas que l’on croie que je porte le moindre jugement sur ce que vivent, disent ou pensent les autres parents. Je ne me permettrais jamais de faire une chose pareille. Je sais, par expérience notamment, combien il est difficile de vivre ces situations et qu’il n’y a, dans l’absolu, pas de bonne ou de mauvaise décision.