Court florilège de phrases entendues ce matin pendant la corvée du marathon des courses de Noyel. Il faut dire, je cherche un peu parce que j’adresse la parole aux vendeurs et vendeuses. Je les comprends, les vendeurs et les vendeuses, ils sont obligés d’être là toute la journée, eux…
Pour tout vous dire, dès l’entrée dans le magasin, j’ai eu un peu la nausée de voir tout ce rose, toute cette mièvrerie, tout ce luxe ostentatoire et cette foule qui se presse dans les rayonnages dégoulinants. Je m’étonne de voir, sur le visage de tous ces gens non pas l’air épanoui de circonstance, mais une performance de rictus qui traduit à la fois l’énervement, le mépris et la lassitude. En général, j’évite d’aller dans ces temples de la consommation, mais je ne voudrais pas que mes enfants me reprochent d’avoir été élevés par une marmotte asociale, écolo, gauchisante et intégriste. J’essaie donc de satisfaire quelques uns de leurs souhaits, pour certains violemment soufflés à grand renfort de spots publicitaires et autres chansonnettes abrutissantes, pour d’autres, résurgences tardives d’un passé fort peu lointain.
« Savez-vous où je pourrais trouver des pistolets à amorces ?
- … ?
- Des pistolets à amorces ?
- Ah, des pistolets à pétard ! Non, nous ne vendons plus cet article depuis longtemps »
Vu les prix pratiqués en moyenne dans le magasin, je sais pourquoi. Je vais donc répondre à Monsieur O. : « Pas assez cher mon fils » (même moi, décidément, je suis infiltrée par la pub à l’intérieur de mon moi-même).
« Pouvez-vous m’indiquer le rayon des jouets d’imitation, s’il vous plaît ?
- … ?
- Des jouets d’imitations : pour faire comme le médecin, papa, maman, le vendeur de jouets…
- C’est pour un garçon ou pour une fille ?
- Je cherche une perceuse pour ma fille
- Le bricolage, c’est dans le rayon « Je fais comme Papa »
- Merci Monsieur, vous êtes bien urbain. »
J’ai contourné le rayon « Je fais comme Maman », rempli ras la gueule de balais, d’aspirateurs et de machines à laver et je suis parvenue, non sans être retournée en arrière acheter un aspirateur pour Monsieur O. (mais je dirais que c’est pour sa soeur, il faut préserver les apparences), au rayon « Je fais comme Papa » où l’on peut trouver du matériel de bricolage, la trousse de premiers secours, le numéro des pompiers et une boîte remplie de réparties misogynes prêtes à l’emploi. Oui, je sais, c’est une usine à gaz, tous les ans quelqu’un ou quelqu’une fait la remarque. Je ne suis pas, loin de là, l’unique parent à vouloir offrir une dînette à un garçon et une perceuse à une fille, mais je note que ça n’avance pas d’un pouce et c’est horripipoilant au possible.
« Auriez-vous des jouets en rapport avec l’univers Harry Potter pour un petit garçon de six ans, s’il vous plaît ?
- Mais, enfin, Madame, ça ne se fait plus cette année ! »
Bon déjà, lui, il voit de quoi je parle, c’est un bon début, mais son ton méprisant m’est insupportable, il faut bien le dire. Que s’imagine-t-il ce pauvre garçon endoctriné, esclave du grand méchant Kapital ? Que sa remarque va me faire changer de camp et rejoindre les sirènes de l’ultralibéralisme ? Il croit au Père Noyel, ma parole !
Il ajoute, pointant avec morgue une boîte derrière lui :
« Il nous reste ça, mais c’est déjà un très vieux jeu. Totalement démodé : imaginez, il date de la sortie du premier Harry Potter ! »
J’imagine, j’imagine. Le problème, c’est que mes enfants n’ont pas le droit de regarder un film qui ne soit passé au coupe-chou effilé de la censure maternelle. Du coup, Monsieur O. n’a vu le premier opus filmique que depuis qu’il a six ans, et encore parce que son père a insisté ! Je vous rassure, je lui avais déjà lu, je ne suis pas un monstre !
Le pire, c’est que pour un jeu mathusalèmien, il n’est même pas en solde : 125 euros. Comme je ne voudrais pas priver le magasin de son patrimoine historique, je le laisse.
Quant à Monsieur L., comme chaque année, c’est un peu la prise de tête pour trouver ce qui lui ferait plaisir. À la question : « Qu’aimerais-tu avoir pour Noël ? » il répond invariablement : « Un cadeau » et à la question inévitablement suivante « Quel genre de cadeau ? », il répond : « une surprise ». Je devrais être ravie, c’est justement un peu ma conception du cadeau : trouver une idée de surprise qui fasse mouche. Pour tout dire, je n’aime pas les commandes et je n’aime pas non plus que l’on me demande ce que je veux. Je fais une exception partielle pour les enfants. Du coup, pour en revenir à Monsieur L., comme je veux l’entraîner à la fois à vivre dans un monde qui n’est pas spécialement accueillant pour lui, à développer ses réflexes et à trouver un dérivatif à son stress, je lui ai pris un punching ball. Nous verrons bien. De toute façon, je ne sais pas ce qui me fait écrire ça, mais je pense qu’il me servira.