Entre mon fils aîné et moi, il y a une entente tacite : je suis censée lui faire comprendre les relations sociales pour qu’il soit moins perdu dans notre société si prompte à la tolérance et à l’altruisme. Pour qui me connaît, savoir que je suis érigée en professeur de lien social, c’est risible. Bon OK, mais moi, je suis d’entre nous deux celle qui n’est pas autiste. C’est donc bien moi qui ait le plus de compétences en la matière… Et toc.
Aujourd’hui, jour propice à la leçon « comment se faire des amis ». Premièrement, s’équiper une tenue de haute protection, surtout sur la tête. Deuxièmement, fabriquer une pancarte « je soutiens la grève » (c’est bon aussi pour la psychomotricité fine, c’est toujours ça de pris). Troisièmement, descendre dans une gare de proche banlieue parisienne vers 7 h ou 8 h du mat (histoire de montrer qu’on fait également partie de la France qui se lève tôt) et brandir bien haut son panonceau.
Là, clairement, je dirais qu’il y a maltraitance. Du coup, je vais essuyer les plâtres moi-même, pour qu’on ne m’accuse pas d’instrumentaliser mon doux enfant au regard innocent. Je vais donc vous exposer en quelques points pourquoi je ne râle pas contre les grévistes. J’évite ainsi la saturation de la boîte à com de la pourfendeuse de grévistes en chef du moment. De rien, c’est naturel que je reçoive la réprobation générale, voire la natème (je sais que ça ne s’écrit pas comme ça, mais je le préfère ainsi pasque ça rime avec crème. Comment ça, anathème aussi ?), sur mon propre blog.
Bon zalors je n’ai pas le temps de bien argumenter en trois parties et trois sous parties (deux de chaque pour les étudiants en droit), mais je complèterai au besoin si la discussion s’engage… Je fais donc bref.
1) Je pense qu’il est nécessaire de repenser le système de retraite, mais
2) Je suis persuadée que tous les emplois ne se valent pas en terme de fatigue et d’usure. Il me paraît donc normal que des régimes spéciaux de retraite existent.
3) Je trouve normal que des gens qui ont été engagés sur des conditions de travail données voient leur contrat de travail honoré par leur employeur, surtout si lesdites conditions ne sont pas extravagantes, comme quinze millions en stock-options avec possibilité de délit d’initié (enfin là je divague, ça ne peut pas exister).
4) Que les emplois aient changé depuis quelques années ne fait pas de doute. Il serait donc plus constructif d’étudier quelles professions aujourd’hui devraient bénéficier de telles dispositions. Or je n’ai pas entendu parler de négociations en ce sens. Le projet de loi est prévu pour annuler tous les régimes spéciaux et pour aligner tous les secteurs sur un même système, ce qui est beaucoup plus facile ensuite, pour, dans un second temps, modifier d’un coup l’ensemble et favoriser les assurances privées qui n’attendaient que ce marché juteux pour remercier leur grand ami. Le souci, c’est que vu le pouvoir d’achat moyen actuel, je ne connais pas beaucoup de gens qui pourront cotiser pour leur retraite. Nous verrons bientôt nos vénérables ancêtres au travail ou à mendier jusqu’à la mort pendant que d’autres joueront au golf en épuisant nos dernières ressources d’eau potable pour arroser leurs greens. Ou encore, (je vais encore me faire des amis) les enfants des baby-boomers s’épuiser au travail pour financer les retraites (à raison d’un salarié cotisant pour un retraité) sans pouvoir jamais escompter un jour avoir le droit de s’arrêter.
5) Les entreprises privées, le MEDEF en particulier, ont beau jeu d’avancer les 40 ans de cotisations et la retraite à 60 ans alors que presque tous les seniors sont licenciés avant ce bel âge et que c’est l’ASSEDIC qui complète les années dues pour bénéficier de la pension. La moyenne de départ en retraite dans le privé est de 56 – 57 ans. Le reste, puisque les pauvres dirigeants de grosses entreprises ne peuvent l’assumer, est pris en charge par la collectivité, donc. On prône ici l’égalité, mais l’égalité, sans la justice, n’est qu’une arme de plus pour l’asservissement des peuples. Imaginez que tout le monde paie le même impôt, quel que soit son niveau de revenu, genre 600 euros pour tout le monde, le Rmiste comme le millionnaire ? Ça existe ? Mais oui, c’est vrai, ça existe : la TVA, ça s’appelle. Bientôt, pour que ça fasse plus chic, on dira même TVA sociale. Cool, c’est ça le progrès !
6) Il s’agit clairement depuis quelques années de nous désigner un bouc émissaire donné, en l’occurrence la fonction publique parce que l’immigration et les zétrangers on peut un piti peu mais trop c’est interdit. Je ne suis pas adepte, loin s’en faut de la théorie du complot, mais la mesure annoncée fait partie d’un programme global de réforme de la société vers un demain qui sent mauvais (à mon nez, hein, c’est une opinion personnelle là encore). La dépénalisation du droit des affaires, le bouclier fiscal, le quota de reconduite à la frontière, le fichage, la répression à tout va et la fin de la prévention en font notamment partie. Le tout est soigneusement préemballé dans du choli papier doré qu’il est très difficile d’oublier tellement il éblouit (c’est rigolo à répéter comme phrase. Non ? Non). Comment peut-on faire croire aux gens que l’on va réduire de moitié la fonction publique et que tout ira beaucoup mieux qu’avant, alors que lorsque la moitié des fonctionnaires du transport ne travaille pas, tout déraille ? Impossible ? Impossible n’est pas Sar*ko, apparemment…
Alors, oué, la grève, ça fait suer, mais si ça ne dérange pas, une grève, ça ne sert à rien. Yakavouar les grèves d’étudiants… Le problème, c’est que ça risque de braquer les concitoyens. Ou alors, faisons comme certains gros propriétaires terriens en colère : mettons le feu à des monuments historiques ou à des préfectures. Apparemment, pas de retombées judiciaires, même pas un petit prélèvement ADN. Tout le monde a l’air de trouver ça parfaitement normal…
Une petite touche culturelle pour terminer : lisez, si vous ne l’avez pas encore fait, l’excellente BD V pour Vendetta (ou le film pour ceux qui préfèrent les images qui bougent). On y voit comment, à force d’accepter ce qui paraît de petits renoncements à la liberté, à la justice, aux droits de l’homme, on en arrive à une société dénuée d’âme.
Si je compte bien, j’ai dû me mettre à dos la quasi totalité de mes compatriotes, pas mal pour un jeudi.
Ce n’est pas mon genre de râler, alors je ne fais pas plus et demain je parle de chocolat et du jouli nhirocéros que j’ai vu dans les nuages aujourd’hui.